(ARTICLE FRANCE INFO LE 27/09/2018)

Difficile de dénombrer tous les titres de presse et les émissions qui, ce 25 septembre, ont relayé l’information suivante : « Un homme opéré du cœur sans anesthésie grâce à l’hypnose » (France 3) ! « Un octogénaire a subi une intervention à cœur ouvert » (Ouest France), « sans aucune anesthésie, ni locale ni générale » (Pourquoi Docteur) ! Répétée hier toute la journée comme un écho, du matin au soir, la surprenante information semble validée par le nombre même des journalistes qui la colportent.

Sauf que… rien ne s’est passé comme cela! Comme souvent à l’heure de la course à la publication et au clic, l’information initialement présentée par les médecins lillois a été embellie et déformée, sans vérification.

Ni « à cœur ouvert », ni « à la place d’une anesthésie générale ».
Tout n’est pas faux, dans les grandes lignes des articles : un homme de 88 ans a bien été opéré du cœur à Lille, au cours d’une intervention dans laquelle une infirmière formée à l’hypnose médicale a joué un rôle primordial.

L’intervention en question ? Une implantation de valve aortique par voie transcutanée, ou TAVI. C’est-à-dire une technique (mise au point au CHU de Rouen au début des années 2000) qui permet de remplacer, en quarante minutes environ, une valve cardiaque sans recourir à l’anesthésie générale [1], en passant par une petite ouverture cutanée au niveau de l’aine. Une pratique cardio-interventionnelle courante, qui a déjà bénéficié à plus de 250.000 de patients de par le monde…


Une intervention TAVI (reportage du Magazine de la santé, avril 2018)

 

Nous ne parlons donc pas ici d’une intervention « qui, en temps normal, nécessite une anesthésie générale » (Le Parisien), ou qui impliquerait d’opérer « à cœur ouvert ! » (BFM TV, Télématin…).

Dans la presse déchaînée…

Le changement de valve se déroule de la manière suivante : une sonde, qui contient une prothèse compressée, est introduite par le cardiologue (ou par un chirurgien cardiaque) dans l’artère fémorale. La sonde est poussée dans l’aorte jusqu’au niveau de la valve malade ou endommagée. La prothèse se déploie alors, et se fixe à la valve malade, pour en assurer les fonctions.

…de nombreuses informations fausses agrémentent les articles.

Une séance d’hypnose pour remplacer la prémédication…
Usuellement, un TAVI se réalise sous anesthésie locale, mais également en recourant à ce que l’on nomme une prémédication sédative – c’est-à-dire l’administration au patient de diverses substances anxiolytiques, afin qu’il ne s’agite pas sur la table d’opération pendant que le cardiologue introduit la sonde. Durant la phase opératoire, des anesthésiques sont également injectés dans l’artère fémorale.

Pour la première fois au CHRU de Lille, l’équipe a proposé à un patient de 88 ans une séance d’hypnose pour remplacer la prémédication habituellement utilisée pour un TAVI. Le déroulement de la séance est le suivant : l’octogénaire échange durant un long temps avec une infirmière. Le contact verbal bienveillant, engagé tôt, se focalise sur le vécu passé du patient, focalisant son attention sur ses souvenirs et sollicitant ses facultés d’imagination… afin de lui faire penser à toute autre chose qu’à l’équipe du cardiologue qui s’affaire autour de lui.

… et une anesthésie locale indispensable !
Au moment de l’introduction de la sonde, en revanche, le cardiologue a bien recours a un anesthésique local (de la lidocaïne) injecté au niveau de l’artère fémorale, comme il nous l’a confirmé ce 25 septembre. Pour l’octogénaire sous hypnose, l’intervention s’est parfaitement déroulée.

Il y a là une indéniable prouesse, que de parvenir à éviter toute administration de sédatifs durant la phase de « prémédication » préalable à un TAVI, en utilisant les techniques d’hypnose médicale (qui n’ont rien de mystique ou d’ésotérique !). Mais il est faux – trois fois faux – de dire qu’une opération à cœur ouvert qui nécessite habituellement une anesthésie générale a été réalisée sans aucun anesthésique durant la phase opératoire, grâce à l’hypnose.

…exceptée la lidocaïne dans l’artère fémorale !

Un grand classique
C’est un grand classique : lorsqu’un hôpital communique sur une « intervention cardiaque » n’impliquant pas d’anesthésie générale, et utilisant des techniques permettant de limiter l’usage des sédatifs – ce qui se développe de plus en plus pour des patients présentant un profil « à risque », l’information est rapidement distordue dans les médias. « Pas d’anesthésie générale » devient « pas d’anesthésie du tout »…

La distorsion de l’information est, bien souvent, totalement involontaire : les rédacteurs de la presse généraliste ignorent souvent qu’une intervention cardiaque ne nécessite pas toujours une anesthésie générale… voire même qu’une anesthésie locale peut suffire pour soigner un organe aussi indispensable que le cœur !

Dans de rares cas, la déformation de l’information est intentionnelle. Citons ici le cas célèbre d’une « chirurgie cardiaque sous acupuncture », réalisée à Shanghai dans les années 70, afin d’impressionner les délégations occidentales et leur faire croire que les aiguilles pouvaient se substituer à toute sédation. Le pot-aux-roses fut rapidement découvert, la personne opérée n’ayant certes pas bénéficié d’une anesthésie générale… mais de fortes doses d’anesthésiques locaux ! Un canular de propagande qui sera réitéré plusieurs fois durant les décennies suivantes, en comptant sur la naïveté de certains médias pour relayer le (faux) miracle d’une chirurgie « sans anesthésique chimique »…